Le col et tunnel du Gothard en Suisse

Le Pont du Diable dans les gorges de Schöllenen

Le Pont du Diable dans les gorges de Schöllenen (Peter Birmann). Source : Wikimedia Commons

1230

Première citation du Col du Gothard, alors appelé Montre Tremulo. Toutefois, le commerce y transiterait depuis plusieurs siècles déjà. Les historiens supposent que le col était régulièrement utilisé dès l'âge du Fer.

C'est d'ailleurs sans doute aux voyageurs que se consacre la chapelle érigée sur le col, entre 1166 et 1230. La plus ancienne description d'un voyage par le Gothard remonte à 1234 et, en 1237, sont publiés les premiers statuts d'une association de transporteurs, celle des muletiers d'Osco.

À cette époque, le passage est pourtant acrobatique et particulièrement dangereux. Il se révèle pourtant nécessaire, bientôt vital, aux éleveurs uranais qui prennent l'habitude de l'emprunter pour acheminer leur bétail jusqu'à Milan. Faciliter l'accès vers l'Italie du Nord devient rapidement une obsession.

Une légende raconte la construction du pont qui ouvre le premier passage dans le Gothard. Elle remonte au début du XIIIème siècle.

À Uri, près du village de Göschenen, les gorges de la Schöllenen constituent l'obstacle majeur dans le massif, dominées de falaises vertigineuses, hautes de plusieurs centaines de mètres, qui n'offrent aucun appui pour y construire un sentier tandis qu'un torrent tumultueux gronde en contrebas.

C'est alors le Diable qui jette un pont en pierre au-dessus des gorges infranchissables. En échange, il exige la vie du premier habitant qui franchira l'édifice.

Mais le Diable a trouvé plus malin que lui. Les habitants de Göschenen sacrifient... un bouc. Le diable qui, fou de colère, précipite alors un rocher gigantesque sur le pont, mais rate sa cible.

Le pont est baptisé « Pont du Diable » (Teufelsbrücke). Il ouvre la voie à la fantastique épopée du Gothard.

Les gorges de Schöllenen et le Pont du Diable

Huile sur toile (vers 1803-1804) de Joseph Mallord William Turner présentant le Teufelsbrücke ou Pont du Diable près de Göschenen dans le canton d'Uri. Source : Wikimedia Commons

C'est un ouvrage remarquable, petit bijou de ferronnerie complété de passerelles de bois accrochées par des anneaux métalliques fixés le long des falaises.

Plus plausiblement, la construction du pont est attribuée aux Walser qui réalisèrent d'autres ouvrages remarquables en Valais avant de rejoindre cette vallée uranaise, sans doute en empruntant la Furka.

Rapidement, ce nouveau passage dans le Gothard se métamorphose en véritable route commerciale qui voit transiter bétail, viandes, peaux, beurre et fromage des vallées suisses ainsi que le précieux sel de Méditerranée.

Le nord et le sud se rapprochent. Les retombées commerciales sont importantes, la région s'enrichit.

La maudite Pierre du Diable

Cette pierre, jetée par le Diable suite à la supercherie des Uranais, manque le pont qui était ciblé et vient s'écraser à quelques enjambées du village de Göschenen.

Dans les années 1980, le chantier de l'autoroute du Gothard oblige le déplacement de la pierre, qui est reposée, intacte, à 127 mètres de sa chute initiale. L'opération n'est pas simple et coûte quelque 300'000 francs ; le gros caillou mesure tout de même 12 mètres de haut et pèse... 2000 tonnes.

Mais on assiste bientôt à une mystérieuse augmentation des accidents au kilomètre 16. Certains l'attribuent à la Pierre du Diable, laquelle continuerait ainsi son oeuvre maléfique pour punir les habitants d'Uri de leur malice...

1493 – 1503

170 tonnes de marchandises transitent annuellement par le Gothard. Elles sont transportées par les associations de muletiers, très organisées. Fondées par des habitants de la région, elles exercent un monopole et imposent une taxe aux commerçants (Forletto ou Fuhrleiti). Elle permet de financer l'entretien et le déneigement du passage.

Ce monopole ne s'interrompra qu'au XIXe siècle et la construction de la première route carrossable.

1653

Première liaison postale hebdomadaire dans le Gothard, entre Milan et Lucerne. Le voyage prend alors quatre jours.

1696

Service de courriers à cheval deux fois par semaine entre Zurich et Milan.

1707

Premier tunnel alpin long de 60 mètres.

Le plus haut massif des Alpes (... ou pas !)

Pendant longtemps, les scientifiques ont cru que le massif du Gothard était le plus élevé des Alpes. Mais en 1716, Johann Jakob Scheuzer s'aperçoit de l'erreur. Le Mont Blanc, du haut de ses 4810 mètres est réhabilité et le Gothard destitué...

1830 - 1870

Construction d'une route carrossable. Le transport de passagers et d'envois spéciaux se fait désormais par voiture. L'aller-retour en diligence est journalier entre Chiasso et Flüelen dès 1842. 70'000 voyageurs et 10'000 à 20'000 tonnes de marchandises transitent annuellement par le Gothard autour de 1870.

1869

Avec l'ouverture du Canal de Suez, les habitants des vallées du Gothard craignent que le trafic commercial européen se détourne vers les ports. L'Allemagne, l'Italie et la Suisse concluent un accord en 1871, planifiant la construction de la ligne des Chemins de fer du Gothard.

Le canal de Suez, Port-Saïd

Le canal de Suez à Port-Saïd. Source : Cairo Postcard Trust / Wikimedia Commons (CC BY-SA 2.5)

Le premier passage ferroviaire à travers les Alpes commence, il s'agit du chantier le plus ambitieux de la Suisse du XIXe siècle.

2500 ouvriers travaillent au pic, à la pelle et avec des perforatrices à air comprimé. 3 équipes se relaient 24 heures sur 24, des deux côté de la montagne, autour de la pièce-maîtresse de l'ouvrage, un long tunnel de 15 kilomètres qui s'engouffre à l'intérieur du massif du Gothard.

Malgré le rythme extrême, le chantier cumule les imprévus techniques principalement liés à la nature du sol, les accidents et les retards. L'ingénieur genevois Louis Favre promettait de terminer l'ouvrage en huit ans ; ses ambitions paraissent vite utopiques. Il met encore plus de pression sur les travailleurs.

Tunnel du Gothard à Göschenen (1875)

Portail nord du tunnel du Gothard vers 1875, à Göschenen. Source : Wikimedia Commons

Sur le chantier du siècle, les conditions de travail sont particulièrement précaires. Les ouvriers, travailleurs italiens pour la plupart, sont payés entre 3 et 5 francs par jour, somme à laquelle sont soustraits 2,50 francs pour le logement et la nourriture ainsi que 30 centimes pour l'huile des lampes.

Les accidents se succèdent, les morts se compteront en centaines ; 177 uniquement lors de la construction du tunnel.

28 juillet 1875

Grève sur le chantier ferroviaire du Gothard. Les ouvriers réclament une réduction du temps de travail quotidien (de 8 à 6 heures) ainsi que le versement de leur salaire en argent comptant. Mais la gendarmerie d'Uri, épaulée de miliciens civils armés, tire sur les grévistes. 4 personnes meurent.

Ouvriers sur le chantier du Gothard

Ouvriers à Airolo en 1880, sur le chantier du Gothard. Source : Wikimedia Commons

Juillet 1879

L'ingénieur en chef Louis Favre meurt sur le chantier d'une rupture d'anévrisme. Il est remplacé par Édouard Bossi qui conduit le tunnel à son ouverture.

La mort de Louis Favre sur le chantier du Gothard

La mort de l'ingénieur Louis Favre sur le chantier du Gothard, en 1879. Source : Wikimedia Commons

1er juin 1882

Ouverture du tunnel la ligne des Chemins de Fer du Gothard avec deux ans de retard et un dépassement de 100 millions de francs qui s'ajoutent aux 187 millions prévus initialement.

Les premières locomotives à vapeur le traversent à 31 km/h et transportent, dès la première année, un million de voyageurs. La ligne se révèle rentable.

Les chemins de fer du Gothard sont alors la compagnie ferroviaire privée la plus moderne et la plus technique du pays ; freinage automatique, wagons à quatre essieux, compartiment salon, etc.

1909

Les CFF, Chemins de Fer fédéraux, reprennent la gestion de la ligne du Gothard et l'ensemble du réseau ferré suisse.

1919-1924

L'ensemble de la ligne ferroviaire du Gothard, de Bâle à Chiasso, est électrifiée.

1960 - 1970

Le trafic ferroviaire à travers le Gothard connaît son pic de fréquentation dans les années 1960.

Il diminue dès les années 1970, notamment à cause de l'énorme croissance du trafic de poids lourds sur les nouvelles autoroutes alpines.

Col autoroutier du Gothard

Rampe sud du col autoroutier du Gothard. Source : Adrian Michael / Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0)

1980

Depuis la construction du tunnel routier, un million de camions viennent s'y entasser chaque année. Grogne de la population locale.

1992

Votation populaire : le peuple suisse accepte les nouvelle transversales alpines. Elles prévoient la construction d'un nouveau tunnel ferroviaire entre Erstfeld et Bodio. Le chantier devrait s'achever en 2016.

1994

L'initiative des Alpes est acceptée. Elle encourage le transfert de la route au rail.

Tunnel ferroviaire du Saint-Gothard en construction

Tunnel ferroviaire de base du Saint-Gothard en construction (2006). Source : Cooper.ch / Wikimedia Commons (CC BY-SA 2.5)

24 octobre 2001

Accident dans le tunnel routier bidirectionnel (les véhicules s'y croisent) du Gothard. À 9h39 ce matin du 24 octobre, un camion sort de sa trajectoire à 1 kilomètre de l'entrée sud. Le tunnel s'embrase. Les flammes s'étendent sur 300 mètres, la température atteint 1200 degrés ; un « enfer » selon l'expression du conseiller fédéral en charge des Transports de l'époque, Moritz Leuenberger. 11 personnes perdent la vie dans ce qui restera l'un des plus graves accidents routiers de Suisse et d'Europe.

Cette catastrophe relance le débat politique autour du doublement du tunnel.

Le tunnel routier du Gothard s'étire sur 17 km, 17'000 véhicules s'y croisent chaque jour. La vitesse est limitée à 80 km/h.

15 octobre 2010

Percement du tunnel ferroviaire du Gothard. Les ouvriers font la jonction par le Nord et par le Sud. Le moment est historique, l'ensemble des chaînes de télévision suisses le retransmettent en direct.

À 2000 mètre sous terre, en plein coeur des Alpes suisses, le nouveau tube, fierté du génie civil suisse, s'étire sur 57 kilomètres, 7 de plus que le tunnel sous la Manche ; il devient le plus long tunnel du monde. 15 années auront été nécessaires pour parvenir à cette jonction historique.

Le tunnel est mis en service le 11 décembre 2016.

Le Gothard (col, massif)

Perché à 2108 mètres, le col du Gothard relie Uri et le Tessin. Il se situe dans le massif du même nom (Gothard ou « Gotthard » en allemand), un obstacle aux dimensions impressionnantes qui s'étire sur plus de 440 km2.

Il constitue une véritable barrière météorologique, coupant la Suisse en deux zones climatiques et conférant au sud de doux accents méditerranéens.

Château d'eau de l'Europe, il renferme les sources de quatre cours d'eau s'écoulant vers les quatre points cardinaux ; le Rhin, le Rhône, la Reuss et le Tessin.

Conclusion : le Gothard

Il a bien changé, le Gothard du treizième siècle qui vit transiter les balbutiements d'un trafic commercial international à dos de mule, sur le fragile pont du Diable. Et c'est avec la Suisse et son histoire, au rythme de quelques-uns de ses principaux rebondissements, que le Gothard va évoluer, au coeur de cette Suisse dite primitive, à l'abri des vallées reculées qui virent se conclure le pacte de naissance de la Confédération suisse.

Rampe nord du Gothard entre Intschi et Gurtnellen

Sur la rampe nord du Gothard, entre Intschi et Gurtnellen. Source : Kabelleger / David Gubler / Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0)

Autrefois obstacle, le voilà devenu passage. L'un des principaux traits d'union au coeur de l'Europe, qui rejoint le Nord et le Sud, passage stratégique, routier et ferroviaire.

Plus d'histoire suisse